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Christiane Martel
Institutrice Professeur des Ecoles Maître Formateur à La Beaucaire de 2001 à 2003
La Beaucaire, mon école…
La Beaucaire, c’est une école d’un quartier populaire de Toulon, classée ZEP. Une école… « adossée à la colline » comme le dit la chanson, une colline faite de restanques où pins et plantes aromatiques font le régal des écureuils, le cadre idéal pour un éveil à la nature et l’écoute d’ouvrages de littérature pour la jeunesse… une pinède que des personnes sans scrupules confondaient bien souvent avec une décharge publique…
La Beaucaire, c’est aussi un bâtiment de deux étages, salles de classes et salles spécialisées : motricité, BCD, arts plastiques, salle à manger… deux cours aménagées qui permettent jeux de ballons et activités plus calmes.
La Beaucaire, c’est encore trois mots sur la façade de l’école : Liberté, égalité, fraternité. Il ne s’agit pas d’une inscription imprimée, mais d’une production d’enfants, élèves de ce quartier, et la finesse du tracé en dit long sur l’application qui a été la leur au moment de sa réalisation. Le ton est donné. Quiconque pénètre dans l’école passe devant cette devise, et chacun sait de quoi il retourne.
L’inventaire pourrait continuer… mais il faut aller à l’essentiel.
La Beaucaire, ce sont des enfants d’un quartier populaire, parfois cabossés par la vie, en souffrance, bousculés par des problèmes qui devraient épargner l’enfance, mais toujours désireux d’apprendre. Pour quelques-uns, l’Ecole est le seul lieu paisible, lieu de rencontres où ils apprennent, où ils apprennent à vivre et à grandir ensemble. Difficile, mais combien exaltant !
La Beaucaire, c’est un groupe d’adultes,
enseignants, RASED et personnels d’entretien et de service, qui sont à
l’écoute des élèves, de leur bien-être, de leurs
besoins, de leur sécurité, de leur réussite. En début
d’année, afin que les jeunes enfants de CP déjeunent dans
les meilleures conditions, il a été décidé
d’un accompagnement éducatif : l’horaire de leur repas de midi est
avancé (11h 20), les enseignants participent à l’installation
des élèves, les aident à couper la viande, éplucher
un fruit en cas de besoin…
L’équipe pédagogique prend
en charge tous les élèves, le RASED répond aux demandes
de chacun. Les enfants ne sont pas seulement les élèves d’un
cours particulier, de la classe de madame x ou de monsieur Y, ils sont
des élèves de l’école, pris en charge par la totalité
des maîtres. Outre les temps de vie collective (récréations,
interclasse de midi), des ateliers de décloisonnement par cycle,
permettent de prendre les élèves où ils en sont dans
leurs connaissances et de les accompagner, par des activités appropriées,
au niveau de compétences requises (groupes de besoins) ; à
d’autres moments, des activités d’arts plastiques permettent des
regroupements par affinités.
La Beaucaire, c’est donc un groupe d’enseignants, jamais avares de leur temps, jamais comptables des heures dues ou pas… (L’Ecole n’est pas une épicerie, les élèves valent mieux que cela.) … une équipe taraudée par la réussite des élèves et préoccupée de faire tomber les idées reçues sur les ZEP : violence dans ces quartiers, faible niveau des élèves et désintérêt des familles.
Les familles sont présentes et actives : au-delà des élus au conseil d’école, les volontaires n’ont jamais manqué pour accompagner les élèves en sortie dans le quartier ou à la piscine.
La Beaucaire, c’est encore cette cohorte d’élèves qui m’ont donné tant de bonheurs au CP et au CE1, de 2001 à 2003 : des élèves intéressés et intéressants ; ce sont les « ateliers de philosophie » hebdomadaires qui ont été l’occasion de constater la pertinence de leurs réflexions sur la vie, la qualité de leur écoute, le sérieux de leurs attitudes, postures et positions, le respect des pensées des autres, la patience face aux hésitations et aux maladresses langagières de certains camarades, la recherche de la formulation compréhensive par le plus grand nombre, la volonté de prendre appui sur ce qu’a dit un camarade pour se positionner…
Idyllique ? Que non ! Je n’ai pas oublié le chagrin de ces bambins face aux refus familiaux de partir en classe de découverte dans le haut Var. Ni leur déception face à cette collègue qui, pressée, entraînait ses élèves en classe alors que le directeur avait organisé une petite fête, en présence de tous les élèves de l’école, pour féliciter les élèves de CE1 et les élèves de la CLIS d’avoir écrit et illustré un album. Je n’ai pas oublié non plus cette violente altercation devant le portail où un père d’élève menaçait le directeur, et où nos énergies conjuguées sont demeurées sans effet, où personne n’avait réussi à apaiser sa colère. Je n’ai pas oublié ces moments de découragement face aux actes de violence dans la cour, à la détresse, à l’absence de certaines familles… Mais ces épreuves, elles ont toujours été partagées, souvent surmontées, ensemble. Dans mon école.
C’est dans cette école que je pensais terminer ma carrière. C’était compter sans cette décision administrative arbitraire et imbécile* qui m’a exclue de la formation initiale des enseignants du 1er degré. J’ai alors été contrainte, pour retrouver ma mission de formateur auprès de l’IUFM, de quitter cette école, ces enfants, ces collègues… pour retrouver, ailleurs, un poste de formateur, pour une année, avant que je ne fasse valoir mes droits à la retraite.
Sans cela, mon école, la Beaucaire
aurait été ma dernière école.
Christiane MARTEL
*du latin imbecilus = un bacillium, qui
ne peut tenir droit sans bâton